Pour le bureau aussi, il y aura un “jour d’après”.Tout a changé le 17 mars. Ce jour-là, des millions de salariés et des milliers d’entreprises se sont demandé comment ils allaient concilier production et confinement, vie professionnelle et vie privée. Sur le papier, rien ne s’opposait à un recours massif au télétravail, depuis chez soi. C’était du moins l’avis du ministère du Travail, qui estimait que 4 Français sur 10 sont en mesure de télétravailler, soit 12 millions de personnes. A comparer à une étude de la Dares, la direction statistique du (même !) ministère du Travail, qui estimait, elle, que près de 2 millions de salariés télétravaillaient, au vu des réponses des entreprise.
La crise est passée par là. Alors qu’il y a quatre ans, plus de la moitié des entreprises interrogées par la Dares affirmaient qu’il leur était impossible de mettre en œuvre le télétravail avant 2025-2026, toutes ont dû, bon gré mal gré, y avoir massivement recours. Aujourd’hui, en ce début mai, 25% de la population active travailleraient à domicile. Au-delà des enjeux de vie privée, de conformité au droit du travail, quels sont les implications sur les locaux des entreprises? L’enjeu est de taille: l’immobilier est leur second poste de dépenses… juste après les salaires.
Un marché déjà saturé
“Dans les mois à venir, les entreprises devront repenser leur organisation de travail pour prendre en compte ces nouvelles aspirations… Et dans les années à venir, les entreprises devront également revoir la conception même des espaces de travail”, pronostique Sylvain Hasse. La crise intervient alors que le marché des bureaux n’était déjà pas au mieux de sa forme: 465.000 mètres carrés de bureaux avaient été placés dans la région parisienne au premier trimestre, contre 538.000 mètres carrés en 2019, à la même période.
Une demande rétrécie
Chez de nombreux dirigeants, la réflexion était en cours depuis de nombreux mois. Elle va s’accélérer, “les événements des dernières semaines vont forcément impacter la demande des utilisateurs, qui se questionnent aujourd’hui ouvertement sur la place des bureaux dans l’organisation du travail. Certains clients qui cherchaient des immeubles de 10.000 mètres carrés nous ont recontactés pour nous expliquer qu’ils cherchaient désormais des unités deux fois plus petites, car ils s’étaient rendu compte que leur activité se prêtait très bien au télétravail.”
Cet épisode va accélérer la tendance existante: “le télétravail, qui était considéré par certaines entreprises comme un avantage proposé au salarié, va probablement être maintenant intégré plus systématiquement aux réflexions relatives à l’organisation du travail. Sans pour autant renier les avantages d’un lieu physique avec sa capacité à créer l’émulation, … et le plaisir de rencontrer ses collègues, comme nous l’a rappelé une de nos études récentes.”Le groupe coté, qui accueille plusieurs sièges de grandes entreprises, constate que cela accélère la réflexion de ses clients pour davantage de flex-office. C’est peut-être la fin des open-spaces, avec leurs “benchs” de salariés en rang d’oignons, occupés à des tâches individuelles.
La distanciation sociale nous a amenés à utiliser davantage les entretiens vidéo. Les réunions de deux heures en région, qui vous prenaient en réalité une journée et demi de transport, vont se réduire”. En Île-de-France, la moyenne des temps de transport, dans le tertaire, c’est 55 minutes, matin et soir. Le contexte d’après-Covid va rendre cela encore plus important…” Cela pourrait avoir des répercussions sur les choix d’implantations géographiques des entreprises.
“Beaucoup de clients, pourraient s’orienter vers des localisations moins centrales, mais toujours mieux connectées, avec moins de bureaux individuels, mais plus d’espaces de rencontre.” En réalité, le marché est en train de se repositionner. D’un côté les bureaux “statutaires”, comme les cabinets d’avocats ou les start-up de la tech, qui ont besoin d’une localisation centrale pour attirer les talents. Et de l’autre, des bureaux plus “utilitaires”, où l’accent sera mis sur la connectivité, les services et les espaces de rencontre. Les grandes entreprises avaient entamé ce mouvement avant la pandémie: “pour la première fois, certains promoteurs ont livré l’an dernier plus de bureaux en province qu’en région parisienne”. Conséquence, on pourrait observer un retour vers un souci de maîtrise des dépenses et une stratégie différente en matière d’espace de travail”.
Le zéro bureau n’est pas pour demain
Pour autant, le bureau et le siège social ne sont pas morts. “Le bureau va devenir le camp de base, un lieu d’échanges, qui permettra l’émergence de l’imprévu et de la création. Ça implique de redimensionner une partie des espaces de travail actuels.” Cela va nous amener à aller davantage vers nos locataires, à leur proposer davantage de services, à être encore plus attentifs à la connectivité et à la modularité des bureaux que nous proposerons.”
Mais le “zéro bureau” n’est pas pour demain: “on aura encore besoin de bureaux. Car la culture d’entreprise garde son importance. Et la communication informelle reste essentielle: multipliez vos échanges quotidiens avec vos collègues par 1.500 salariés et vous comprendrez pourquoi on ne peut pas s’en passer!” Sans compter que tous les travailleurs ne sont pas d’accord pour transformer leur salon en lieu de travail: 45% des sondés redoutent cette apparente liberté de travailler , et 59% estiment qu’elle est une menace à la cohésion et à la culture de leur entreprise…